Le patrimoine mémoriel des guerres

Vercingétorix à l'église

Suite à la dernière lettre de la base, une de nos correspondantes nous a envoyé l'article suivant :

VERCINGÉTORIX À L’ÉGLISE

Le fait est doublement intéressant en ce qu’il suppose d’une part la faculté de nombre de paroissiens à identifier le personnage, d’autre part une acceptation de sa représentation non seulement dans l’espace de l’église, mais plus précisément (et, « à ce moment précis ») au cœur de l’espace cultuel commémoratif du grand deuil de guerre.

Sur quoi son identification repose-t-elle ? Désormais, il importe de le signaler, il est plus souvent désigné sous la simple dénomination « un Gaulois ». Sans doute, dans les années qui suivent la guerre est-il plus exactement nommé.

Vercingétorix est alors une figure nationale récente, puisqu’élevé au rang de « grand ancêtre » porteur des qualités gauloises essentiellement par le Second Empire. L’école de la IIIe République l’intègre ensuite à son Panthéon, mythe et modèle offert à l’édification de ces petits paysans dont on souhaite faire des citoyens accomplis.

Il s’agit donc d’une figure éminemment politique, avec, par temps de guerre, les qualités requises : courage, résistance à l’envahisseur… Mais il a en ces domaines, dans l’église comme à l’école, une concurrente, Jeanne d’Arc, laquelle l’emporte numériquement, et de loin, dans l’église, d’autant qu’elle bénéficie de sa canonisation en 1920.

Ainsi, l’Église ayant sa propre héroïne, pourquoi cette présence « adverse » ?

Observons la scène, tant chez Eugène Blanc que chez Étienne Camus : Vercingétorix n’est pas seul, mais accompagné de deux autres personnages, deux « poilus » dont l’un est mourant, cependant que l’autre – symétrique du Gaulois – veille et fait face. Il y a en fait filiation, succession des générations qui prennent la relève pour défendre la patrie. Le fantassin de 1914-1918 s’inscrit dans une élogieuse continuité.

Demeure, pour terminer, la grande question de l’acceptation de cette référence républicaine au sein de l’espace consacré. En ce domaine, la guerre n’est plus seule à constituer l’arrière-plan, et il convient d’y adjoindre –  en contrepoint - la loi de Séparation des Églises et de l’État, dont on sait les tensions qu’elle a pu susciter.

Au début des années 1920, la loi de 1905 est chronologiquement trop proche pour être « oubliée » : d’ailleurs, l’institution ecclésiale continue de dénoncer sans répit l’ensemble de la politique anticléricale au long cours initiée durant la période révolutionnaire.

Cependant, dans les villages, c’est une triple identité qui peu à peu émerge : on est « d’ici », on est catholique, mais on est aussi Français et donc on accepte la République et ses symboles. À la faveur du combat commun, du deuil commun, les lignes de clivage – quand bien même elles perdurent - bougent doucement.

Dans cette perspective, la représentation de Vercingétorix peut en somme être lue également comme un petit pas de certains vers le Ralliement.

Françoise LEGEAS-BOUTTIER (janvier 2023)

Illustration : Blèves (72)

Date de modification : 2 mai 2023

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