Le patrimoine mémoriel des guerres

Au fil des monuments…

Au fil des monuments…
Daniel Bertholet

Depuis mon adolescence, la première guerre mondiale m’a, quelque part au fond de moi, toujours fascinée. Je me l’explique mal, qu’importe. En cette année 2014, partout en France (et sans doute dans beaucoup d’autres pays) des commémorations diverses vont avoir lieu pour célébrer ce centenaire.

Je n’ai pas d’aïeuls qui ont laissé leur vie sur un champ de bataille, mais je vais tout de même faire un geste minuscule, apporter une modeste contribution, rendre un hommage discret à tous ces êtres qui ont perdu leur vie durant ce redoutable conflit. De quelle manière ?, tout simplement en photographiant un maximum de monuments aux morts et en envoyant mes clichés à l’université de Lille qui a décidé de les répertorier tous, honorable travail  qui fédère l’ensemble des volontaires du pays (et de la Belgique).

Les deux outils indispensables pour relever ce challenge seront mon appareil photo numérique et mon vélo ! Au départ, curieux, je pars donc « armé » de mon A.P.N. sur les routes du département (l’Isère). Lors de mes futures sorties, je vais arpenter parfois les pistes cyclables, quelquefois les chemins vicinaux, souvent les routes départementales, rarement les nationales.

Au début, j’essaie de trouver seul les monuments, je n’ose pas demander aux autochtones, j’insiste peu si je ne découvre pas le lieu. Au fil des kilomètres parcourus et des clichés réalisés, je me prends au jeu et rater une commune sur le parcours prévu me met en rogne ! Avec le temps, je prends de l’expérience, je m’arrête sans hésiter, et demande où se trouve le monument aux morts. Ma demande orale est dirigée de préférence vers les gens d’un âge mûr plutôt qu’aux jeunes ou au bistrot du coin. Demande toujours bien accueillie, réponse souvent claire et rapide (les villages sont de taille modeste et les distances rarement longues). Les quelques personnes qui  ne savent pas paraissent embarrassées voire gênées de ne pouvoir me répondre. Les monuments aux morts créent donc du lien entre les vivants ! Lorsqu’ils sont situés au cimetière, je rencontre parfois une personne qui se recueille, porte un bouquet, arrose une plante verte. La conversation s’engage assez spontanément, certain(e)s me racontent leur vie en quelques phrases, d’autres échangent quelques mots sur leur village et leur passé, une octogénaire m’explique que les élèves de la commune viennent devant le monument relever sur un bloc-notes le nom des victimes, ça me touche, je suis moi-même instituteur.

Personne ne semble se moquer de ma quête, beaucoup me renseigne sans demander (par discrétion) le but de ma démarche. Paradoxalement, je peine souvent plus à trouver les monuments des moyennes et grandes villes alors qu’ils sont sensés être les plus imposants ! Le massif du Vercors m’a appris à affiner ma demande. Haut lieu de la résistance lors de la seconde guerre mondiale, les gens m’indiquent souvent les stèles érigées pour ce second conflit alors que ma recherche se cantonne au premier.

Quand je roule entre deux communes, je me questionne sur l’orientation du monument : sera-t-il bien éclairé ? N’y aura-t-il pas un contrejour gênant ? Je garderai un souvenir impérissable d’une matinée partagée avec mon compagnon d’aventure (cycliste et photographe lui aussi) : nous enchainerons un parcours idéal : matinée lumineuse grâce à un léger mistral, monuments variés dans leur forme et leur emplacement, routes tranquilles et pittoresques au fin fond de l’Isère rhodanienne.

J’envisage ces sorties comme des promenades de découverte à bicyclette, le rythme imposé par les nombreuses poses (se renseigner, photographier, rechercher) ne conviendrait pas au pur sportif. M’arrêter tous les ¼ d’heure, gravir une raide côte pour accéder au monument ne me pose aucun problème. La démarche est contraire à ma routine cycliste dans laquelle je recherche habituellement un paysage sauvage, une route escarpée, un espace désert me voici désormais en train de calculer un parcours comportant le maximum de communes à traverser ! Je me retrouve au cœur des villages, la proximité des cimetières silencieux, des églises aux portes closes, des places piétonnes quasi vides, des écoles désertées, des bistrots aux volets fermés, me plonge dans une douceur de vivre, une quiétude bienfaisante, une atmosphère feutrée assez irréelle. L’espace traversé me plonge dans un temps qui n’est pas le mien comme dans un passé révolu qui s’accrocherait avec l’énergie du désespoir au présent.

Je ne sais pas combien de temps durera ma quête, je n’anticipe rien. Pour l’instant, j’y trouve mon compte et  ça me suffit. Je me rappelle du titre d’un ouvrage de montagne qui s’appelle : « les conquérants de l’inutile ». Conquérir l’inutile reste pour moi une belle cause.

Les Côtes d’Arey, 02/05/2014

 

Date de modification : 7 janvier 2014

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