Le patrimoine mémoriel des guerres

Recherche de descendants. MASSONNIER André à Bolbec (76)

Le dernier combat des Poilus de Bolbec
Guillaume GUÉROULT

À l’occasion d’une visite au cimetière monumental de Bolbec (Seine-Maritime – 60 km de Rouen, 30 km du Havre), je me suis intéressé aux Poilus inhumés dans le carré militaire. Seul le hasard permet encore à quelques égarés de venir se recueillir dans ce mémorial dédié aux valeureux soldats tombés au Champ-d'Honneur.

C'est par un froid et humide matin d'hiver, que je suis allé à la rencontre de ces tombes aux pierres noircies dont la lente mais inexorable érosion fait son œuvre. Certaines sont brisées en deux, d'autres sont enfoncées dans la terre par le martèlement des saisons. Sur les stèles aux inscriptions effacées et aux photographies usées par le temps, des Christ démembrés, couchés sur le dos, paraissent questionner le ciel... Depuis des décennies, les oubliés n'ont plus de prières et le bleuet fleuri a disparu.

Lisibles pour les uns, illisibles pour les autres. Quelle différence y a-t-il entre les connus devenus illisibles et les inconnus toujours lisibles ? Ils s'appelaient Henri, Gaston, Armand, Eugène, Émile, Raymond, André, Ernest, Hippolyte, Théophile... Leurs mères où leurs épouses s'appelaient Yvonne, Léontine, Marthe, Marguerite, Augustine, Juliette, Louise, Émilienne... Beaucoup avaient les mains et la nuque plissées du laboureur, les doigts usés de l'ouvrier ou du tisserand, les ongles cassés du menuisier ou du mécanicien, la serviabilité du domestique ou l'élégance du garçon de bureau... Ces hommes, âgés de 19 à 52 ans, moustachus en pantalon garance et cache-képi ou en tenue bleu horizon et casque Adrian, étaient fantassins, chasseurs, artilleurs, cavaliers, brancardiers, aérostiers, canonniers, zouaves... Gamins ou sous-officiers aguerris, ceux-là même qui mirent leur vie au service de la Patrie, reposent dans plus de 90 sépultures individuelles où ne résident que des corps couchés sous terre que l’on ne pleure plus depuis longtemps. Telle une garde d'honneur, ils semblent veiller pacifiquement sur l'imposant mausolée qui leur est dédié.

Dans l'angoissant silence qui a remplacé le bruit de la mitraille et des obus, mon regard a été rapidement attiré par un petit écriteau posé sur la plupart des sépultures : « Cette concession réputée en état d'abandon fait l'objet d'une procédure de reprise ». La disparition prochaine de ces tombes, conformément à un arrêté municipal affiché à l'entrée du cimetière, est donc programmée. Certes, on ne peut s'opposer, ni juger une telle décision, mais ces concessions à l'état d'abandon, sont celles d'hommes qui ont vécu un drame hors du commun, d'une violence à peine imaginable, une épopée qui nous dépasse. Ils se sont souvent contenté d'espérer et ont affronté le destin la peur au ventre. Ce sont des héros qui ont connu les champs de bataille de Lorraine, de Verdun, de Champagne, du Chemin des Dames, de la Somme, de la Meuse, de l'Artois, de l'Argonne, des Flandres... Dans ce voyage au bout de l'horreur, ils ont partagé leur quotidien avec le sang, la soif, la faim, les brimades, la souffrance, les maladies, l'agonie, l'odeur des cadavres pourrissants, l'éclatement des obus, la boue fétide, la vermine, les charges de baïonnette, le doute, l'espoir, la peine... et la peur. Ils ont, pour la plupart, appris à vivre dans la terre avant de mourir sous un orage d'acier.

Trois frères dans cette sépulture, deux frères dans l'autre... Qui, s'arrêtant devant ces pierres trop souvent affreuses, se sent encore troublé par ces atroces répétitions ? En lisant les écriteaux, qu'il semble loin ce 11 novembre 1918 - 1 561e jour de guerre - où le clairon dans les tranchées et la sonnerie des cloches des églises, la joie de la victoire et son cortège de manifestations, ne pouvaient faire oublier le deuil des familles. Combien de veuves ? Combien d'orphelins ? Combien de familles décimées ? Si ces tombes disparaissent, que restera-t-il ? La pierre froide du monument aux morts de la commune énumère les quelques 400 bolbécais tombés durant les conflits, mais doit-on laisser disparaître ce patrimoine du cimetière dit 'monumental' ?

L'année 2014 marque le début des commémorations du centenaire de cette guerre gourmande de combattants. A l'heure où l'on ne cesse d'évoquer la mémoire et le devoir de mémoire, il n'est pas inutile de rappeler que nous avons une dette envers ceux qui furent nos pères, nos grands-pères, nos arrière-grands-pères. Il faut essayer de se souvenir. Pour beaucoup, le souvenir ne vient pas tout de suite ; il faut lui laisser le temps de prendre forme... C'est pourtant un héritage dont nous sommes les dépositaires de passage.

Dans Les Croix de bois (Albin-Michel, 1919), l'écrivain Roland Dorgelès (1885-1973), lui-même survivant du conflit, écrivait ces phrases prémonitoires : « On oubliera. Les voiles de deuil, comme les feuilles mortes, tomberont. L'image du soldat disparu s'effacera lentement dans le cœur consolé de ceux qu'ils aimaient tant. Et tous les morts mourront pour la deuxième fois ». Comme le prévoyait celui qui fût le président de l'Académie Goncourt : « Non, votre martyre n'est pas fini, mes camarades, et le fer vous blessera encore ; quand la bêche du paysan fouillera votre tombe (…). Mes morts, mes pauvres morts, c'est maintenant que vous allez souffrir, sans croix pour vous garder, sans cœurs où vous blottir. Je crois vous voir rôder, avec des gestes qui tâtonnent, et chercher dans la nuit éternelle tous ces vivants ingrats qui déjà vous oublient ».

Je me suis renseigné sur l'avenir réel de la nécropole. Par délibération du 2 février 1921, il a été accordé aux familles, gratuitement et à perpétuité, un emplacement pour servir de sépulture aux soldats de la commune 'Morts pour la France', préalablement inhumés dans les cimetières du Front. Le transfert a été autorisé par la loi du 31 juillet 1920. Une délibération du 23 juin 1921, a étendu ce droit aux Anciens combattants décédés dans les cinq ans des suites de blessures ou maladies contractées durant le conflit. L’entretien des sépultures est resté à la charge des familles des disparus. Conformément à l'arrêté municipal, ces familles ont été contactées dans le courant de l'année 2013 et la procédure de reprise des concessions doit s'étendre sur trois ans pendant lesquels le cas de chaque sépulture sera examiné au regard de la loi. Puissent donc à ces Poilus, dormeurs insensibles que l'épouvante ne tourmente plus, de continuer à reposer tranquillement dans la nécropole et rester ainsi, les symboles de l'Histoire ! Pour ces hommes, dont les stèles abimées ressemblent plus à un bataillon en déroute qu'à un carré militaire, il s'agirait alors de leur ultime combat contre le temps, l'oubli et l'indifférence !

« Pitié pour nos soldats qui sont morts ! » écrivait l'académicien Maurice Genevoix (1890-1980) dans La Boue (Flammarion, 1921). « Indignez-vous ! » aurait sans doute écrit le diplomate Stéphane Hessel (1917-2013) ; d'autres auraient tout simplement rappelé le vieil adage : « on devrait laisser les morts tranquilles ! ». Quant à moi, partagé entre tristesse et désolation, j'ai terriblement mal à la Mémoire.

Parmi ces hommes, repose le soldat MASSONNIER André, né le 25 avril 1886 à Fenouillet (Haute-Garonne), fils de Arnaud et de DELBOY Honorine. Il était marié avec LASSERRE Marie. Soldat au 96e régiment d'infanterie, il est “mort des suites de maladie contractée en service” le 27 avril 1915 à l’hôpital auxiliaire n°19 à Bolbec, 29 ans - allée F - tombe n°4.

Nous recherchons le maximum de descendants de ces hommes, afin que les familles soient informées et nous aident à préserver la dernière demeure de ceux qui sont morts pour notre liberté.

Liste des poilus du cimetière de Bolbec

Date de modification : 18 novembre 2014

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